Marrakech – Un vibrant hommage posthume a été rendu, vendredi à Marrakech, à l’éminente sociologue, écrivaine et féministe feue Fatema Mernissi, lors d’un colloque organisé par la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) relevant de l’Université Cadi Ayyad (UCA) de Marrakech.

Initiée en collaboration avec le Laboratoire des études constitutionnelles et analyse des crises et des politiques (LCACP), la Fondation Hanns Seidel et l’Association des amis du centre Fatema Mernissi pour l’animation culturelle, sous le thème “Femmes marocaines : des Hudud à leur franchissement”, cette rencontre a permis à des intellectuels marocains et américains de mettre en avant le projet intellectuel de Fatema Mernissi, “l’une des réalisations intellectuelles les plus intéressantes de cette époque”.

S’exprimant à cette occasion, Fatima-Zohra Iflahen, vice-présidente de l’UCA chargée de la coopération et des relations Internationales, a indiqué que cette rencontre est une occasion de se remémorer le parcours singulier d’une icône de la réussite de la femme marocaine et de toutes les femmes issues de “sociétés patriarcales”.

Rappelant que Fatema Mernissi a consacré toute sa vie à la réflexion et à la production académique, éveillant les questions taboues dans les sociétés arabes contemporaines, Mme Iflahen a fait savoir que ce colloque a pour objectif de braquer les projecteurs sur les écrits et les pensées avant-gardistes de cette “grande dame” qui a toujours milité pour l’égalité hommes/ femmes dans tous les domaines.

Pour sa part, le Doyen de la FSJES de Marrakech, Abdelkrim Outaleb, a souligné que cette rencontre de deux jours se veut un hommage à la mémoire d’une sociologue, chercheuse, écrivaine et militante exceptionnelle, “qui a brisé les carcans de certaines traditions qui relèguent certaines femmes marocaines dans une condition de subordination”.

“Son engagement sans faille pour la cause féminine lui a valu le statut d’exemple à suivre pour plusieurs jeunes marocaines et arabes qui aspirent à l’autonomie et à l’épanouissement pour négocier leur place au sein de la société”, a relevé M. Outaleb.

De son côté, Mohsine El Ahmadi, professeur des sciences politiques à l’UCA et coordonnateur de cette rencontre, a indiqué que Fatema Mernissi a mis en avant les pages les plus lumineuses de la culture arabo-musulmane dans des fora internationaux en affirmant que l’Islam a réservé une place de choix à la femme, accordant un intérêt tout particulier à la promotion de leur condition à tous les niveaux.

“Le projet de Mernissi ne se fonde pas sur la rupture définitive avec le patrimoine, mais plutôt sur l’observation des zones lumineuses de patrimoine islamique qui ont été obscurcies par le dénigrement et la déformation idéologique”, a-t-il expliqué, faisant savoir que Fatema Mernissi a fait une relecture du passé et de l’héritage à l’aide des sciences humaines et sociales modernes et les a exprimés de manière littéraire sur fonds sociologique, psychanalytique et anthropologique.

Les autres intervenants ont relevé que malgré la préoccupation académique essentielle de Fatema Mernissi pour les problèmes des femmes arabes, son projet est global qui a eu pour objectif principal la critique des rapports entre hommes/femmes en termes de rapport de domination dans un contexte caractérisé par la croissance des courants religieux radicaux et la crise de la démocratie.

Ils ont noté que si Mernissi a pu prendre conscience des obstacles idéologiques et épistémologiques de l’héritage classique, elle s’est alors orientée vers la littérature, l’art et le symbolisme pour repenser les formes traditionnelles et modernes des voiles comme enfermement de l’individu dans des schémas de pensée et de conduite relevant de l’ingénierie sociale, politique et culturelle de la sexualité et ses répercussions sur la représentation du genre ou plus exactement des rapports sociaux genrés.

Et de souligner que cette entreprise sociologique et psychanalytique a su utiliser la haute littérature dans le processus intellectuel de sa compréhension de la structure culturelle dominante dans les sociétés musulmanes contemporaines en tant que structure hiérarchisée basée sur la répartition des tâches, des rôles et des sphères : public pour les hommes et privé pour les femmes

Le colloque, qui a connu la participation d’une pléiade d’artistes et d’acteurs de la société civile, a abordé trois questions majeures, à savoir “la pensée de Mernissi : aux frontières de la psychanalyse, la sociologie et la littérature”, “les fondamentalismes et la participation des femmes dans l’espace public” et “témoignages autour de Mernissi”.

Au menu de cette rencontre figurent également la projection du film “Fatema : la Sultane inoubliable” et une visite au lycée Fatema Mernissi afin d’échanger avec les élèves et les enseignants de cet établissement scolaire sur les différentes facettes du parcours exceptionnel de cette militante qui a milité en faveur de la promotion des droits des femmes et l’amélioration de la condition de vie féminine.