Par Mohamed Saad BOUYAFRI

Londres- Quarante-quatre jours ont suffi à déconstruire le mythe de “l’héritière de Margareth Thatcher”. Liz Truss a démissionné jeudi de son poste de Première ministre britannique, devenant ainsi la cheffe de gouvernement à la longévité la plus éphémère de l’histoire du Royaume-Uni.

Pourtant, il y a seulement six semaines, elle était venue à bout de Rishi Sunak, favori des députés conservateurs, lors de la course à la direction du parti Tory. Une victoire qui lui a ouvert les portes de Downing Street, s’imposant comme la nouvelle figure de proue du conservatisme britannique.

S’en est ensuivi un baptême de feu inédit lors duquel elle a, en quatre jours seulement, rencontré deux monarques, affronté l’opposition au parlement et présenté son plan énergétique visant à plafonner les factures des ménages et des entreprises.

Après le décès de la Reine Elizabeth II et une période de deuil national où la politique, à l’image des drapeaux britanniques, a été mise en berne, Truss est revenue à la charge par l’intermédiaire de son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, qui a annoncé le 23 septembre un plan économique dispendieux avec des dizaines de milliards de baisses d’impôts sans financement clair.

Un “mini-budget” qui reflétait indéniablement le dédain de Truss pour les doctrines économiques dominantes et qui a immédiatement provoqué une réaction alarmiste des marchés qui, comme le Fonds monétaire internationale, ont vu rouge.

C’est là sûrement le tournant du bref mandat de Liz Truss. La livre a plongé à son plus bas historique, alors que les taux d’emprunt se sont envolés, contraignant la Banque d’Angleterre à une intervention musclée pour prévenir ce qu’elle a qualifié de “risque important pour la stabilité financière” découlant des turbulences du marché.

La suite a été dramatique pour Liz Truss, son parti et la réputation du Royaume-Uni à l’international : Une série de volte-face sur les engagements budgétaires de Londres dans le dessein quasi-désespéré de rassurer les marchés financiers.

Liz Truss a commencé par abandonner l’une de ses principales promesses de campagne, à savoir la réduction des impôts pour la tranche la plus aisée de la société, avant d’abandonner sa réduction prévue de l’impôt sur les sociétés en avril prochain.

Un énième revirement qualifié d’”humiliant” par la presse britannique et qui s’est accompagné par le licenciement de M. Kwarteng. Le chancelier de l’Échiquier a dû écourter son séjour aux États-Unis, où il rencontrait des responsables du FMI, pour être remercié par Mme Truss au cours d’entretiens urgents à Downing Street.

Son successeur, Jeremy Hunt, s’est empressé d’annoncer qu’il revient sur la “quasi-totalité” des mesures fiscales annoncées par Kwarteng, y compris le projet de réduire le taux de base de l’impôt sur le revenu.

Mais le mal était déjà bien profond. Les divisions internes continuaient de miner le parti conservateur, alors que l’opposition travailliste était ragaillardie par des sondages d’opinions très favorables qui lui offrait quelque 33 points d’avance sur les tories, une première depuis les années 90.

De plus, l’inflation galopante, à son plus haut en 42 ans, aggravait la crise du coût de la vie, favorisant la fronde sociale et les grèves dans divers secteurs vitaux du pays.

En quittant ce navire à la dérive mercredi, la ministre britannique de l’Intérieur, Suella Braverman, a tenu des propos durs à l’égard de Mme Truss, soulignant que “le travail du gouvernement repose sur le fait que les gens acceptent la responsabilité de leurs erreurs”.

“Prétendre que nous n’avons pas fait d’erreurs, continuer comme si nous ne pouvions pas voir que nous en avons fait, et espérer que les choses vont s’arranger comme par magie n’est pas une politique sérieuse”, a-t-elle écrit dans sa lettre de démission.

Une démission qui a mis davantage en exergue le manque d’unité et l’absence de convergences de vues chez les conservateurs, dont plusieurs députés appelaient désormais publiquement à la démission de leur Première ministre.

La sanction est tombée en début d’après-midi jeudi, Liz Truss a jeté l’éponge laissant derrière elle un héritage chaotique. Ironiquement, Francis Truss, son frère, a involontairement prédit la fin de la politicienne de 47 ans, en évoquant dans une interview son comportement autour du plateau de Monopoly lorsqu’ils étaient enfants à Leeds : “Elle devait gagner. Elle créait un système spécial sur la façon de gagner et ensuite, si elle perdait, elle était prête à disparaître plutôt que de perdre.”

Le Royaume-Uni a connu en 2022 quatre ministres des Finances, trois ministres de l’Intérieur et s’apprête à voir émerger son troisième Premier ministre. Du jamais vu dans l’histoire politique contemporaine, notamment pour un pays du G7. Le leader travailliste, Keir Starmer, appelle à la tenue d’élections législatives dès “maintenant”, tandis que Mme Truss a annoncé qu’un scrutin interne pour lui trouver un successeur au sein du parti aura lieu “d’ici à la semaine prochaine”.

Le prochain locataire du n°10 devra résorber les plaies profondes créées par le passage éclair de Mme Truss. Une tâche qui s’annonce difficile et peu attrayante et qui devrait être l’apanage de l’inoxydable Boris Johnson, du financier Rishi Sunak ou de la ministre Penny Mordaunt, selon les réactions à chaud de la presse britannique.