Propos recueillis par Zin El Abidine TAIMOURI

Casablanca- À l’occasion de la Journée internationale de la Femme, célébrée le 8 mars, la Représentante de l’ONU Femmes au Maroc, Leila Rhiwi, a accordé un entretien à la MAP, dans lequel elle dresse le constat de la condition féminine au Maroc et dans le monde et revient sur les actions menées par l’Agence onusienne en faveur de leur autonomisation économique. En voici la teneur :

1 – Que représente la journée internationale de la Femme pour l’ONU Femmes au Maroc ?

La Journée Internationale des Droits des Femmes est avant tout une commémoration des luttes des femmes pour l’égalité des droits économiques, politiques et sociaux. C’est un élan de mobilisation à l’échelle mondiale qui avait commencé par les revendications des femmes au début du siècle dernier pour le droit de vote, le droit au travail, l’égalité salariale, le droit d’exercer une fonction publique.

Cette date nous invite à nous remémorer les combats menés pour faire progresser les droits des femmes, dresser le bilan des avancées réalisées, mais c’est également un moment d’interrogation et d’analyse sur tout ce que les femmes continuent à vivre comme entrave à la jouissance de leurs droits, un moment d’engagement pour accélérer la cadence en faveur d’une société égalitaire.

Aussi, au moment où l’on s’apprête à commémorer la Journée internationale des droits des femmes, il est important pour moi de rappeler la globalité de l’engagement en faveur de l’égalité entre les sexes. En effet, commémorer cette journée c’est questionner nos engagements et nos pratiques.

L’institution publique ou l’entreprise ou l’organisation est-elle dans une approche intégrée de l’égalité des sexes ? A-t-elle une connaissance fine des écarts entre les sexes dans son domaine d’intervention ? La mission, la politique, la stratégie, le plan d’action et la culture organisationnelle sont-ils inclusifs des préoccupations de genre et visent-ils à réduire ces écarts ? Le plus haut niveau du management est-il favorable et engagé pour l’égalité entre les sexes ? Les femmes et les hommes au sein de l’institution-entreprise-organisation ont-ils les mêmes opportunités ? Un suivi et des rapports périodiques sur les progrès en faveur de la réduction des inégalités sont-ils assurés ?

Ainsi, commémorer la Journée internationale des droits des femmes, c’est avoir cette conscience globale des défis quant à l’atteinte de l’égalité chacun dans son domaine et la volonté et l’engagement d’accélérer les progrès en sa faveur.

2 – Quel bilan faîtes-vous de la situation des femmes ?

Nous sommes à bientôt 30 ans de nos engagements d’actions à travers la Déclaration et plate-forme d’action de Beijing qui avaient identifiés pour 12 domaines de préoccupation les leviers à mobiliser, afin que les promesses que nous avons collectivement contractées ne restent pas lettre morte et deviennent une réalité concrète et tangible pour les femmes et les filles à travers le monde.

Malheureusement, le constat est sans appel, les données disponibles et le vécu quotidien des femmes et des filles à travers le monde témoignent de l’ampleur des résistances. Car si des progrès importants ont été réalisés, jusqu’ici, à l’échelle mondiale et de nombreuses discriminations juridiques à l’encontre des femmes ont été abrogées, les avancées restent limitées par de nombreuses inégalités qui persistent dans les lois.

Les dernières données mondiales disponibles sur l’atteinte de l’ODD5 publiées en 2022 par ONU Femmes, montrent que le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre l’égalité des sexes d’ici 2030, car au rythme actuel des progrès, il faudrait 286 ans pour supprimer les discriminations dans les lois et combler les lacunes existantes dans la protection juridique des femmes et des filles, et dans le domaine de la participation politique il nous fait dire qu’il faudrait attendre 140 ans pour atteindre la parité.

3 – Quels sont les freins que vous relevez face à la promotion de la condition féminine ?

 A mon avis, le premier frein reste les cadres légaux en faveur de l’égalité, l’urgence et nécessité de travailler sur les lois mais également l’importance d’accompagner ce travail par une véritable révolution culturelle en faveur de l’égalité, car dans les analyses et les chiffres que je viens de citer, il est clair que les familles, qui sont supposées être des espaces où les individus trouvent du soutien et de la solidarité, sont en même temps l’espace où les femmes et les filles subissent les violences et discriminations.

Aussi, à travers le monde, ce sont les législations de la famille qui sont les plus lentes à changer, notamment les aspects concernant: le droit des femmes de choisir avec qui et quand se marier ainsi que l’âge légal du mariage; la possibilité pour les femmes de divorcer et d’échapper à des relations violentes si elles en sont victimes; le droit de disposer de leurs corps, accepter ou refuser une relation sexuelle, planifier leurs grossesses, l’accès des femmes aux ressources familiales, y compris en termes d’héritage.

En effet, et alors que la communauté mondiale est mobilisée pour accélérer l’atteinte de l’Agenda 2030 et ses 17 objectifs de développement durable, nous constatons que nombre de ces cibles que sont le mariage des mineurs, la santé reproductive, la pauvreté et la redistribution du travail de soins non rémunéré, dépendent grandement de ce qui se passe dans les familles.

C’est pourquoi il est crucial de garantir les droits des femmes et des filles au sein des foyers car cela détermine leurs droits dans l’ensemble des autres espaces de la vie publique, politique, sociale, économique et culturelle.

4 – Quelle est la contribution de l’ONU Femmes au Maroc dans les efforts d’autonomisation de la femme marocaine ?

L’autonomisation économique des femmes est un axe d’intervention stratégique prioritaire d’ONU Femmes au Maroc sur lequel l’agence intervient en étroite collaboration avec les différents partenaires (Gouvernement, secteur privé ou de la société civile) pour (i) la mise en place de politiques publiques visant à accélérer l’inclusion économique des femmes, (ii) la mobilisation du secteur privé pour une plus forte inclusion des femmes dans le marché du travail (iii) la mise en place de programmes innovants facilitant l’accès des femmes à des emplois décents, (iv) l’accompagnement et soutien au plaidoyer pour un cadre normatif et institutionnel qui promeut l’autonomisation des femmes, et (v) et dans le milieu rural l’appui aux initiatives d’autonomisation économique des femmes leur permettant d’accéder à des revenus stables.

5 – Sous quel thème célébrez-vous la Journée du 8 mars cette année ? Pourquoi ?

Le Système des Nations Unies et ONU Femmes commémorent cette année la Journée Internationale des Droits des Femmes sous le thème “Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes” en appelant les gouvernements, activistes et le secteur privé à intensifier leurs efforts pour construire un monde numérique plus sûr, plus inclusif et plus équitable pour toutes et tous.

En effet, un changement de paradigme est nécessaire pour exploiter le potentiel de la technologie et de l’innovation d’une part pour qu’elle soit plus inclusive des femmes et d’autre part pour protéger ces dernières des dangers auxquels elles sont susceptibles d’être exposées.

La disparité entre les femmes et les hommes dans l’accès et d’utilisation du numérique et de la technologie viennent donc s’ajouter aux autres discriminations historiques vécues par les femmes. En effet, les femmes et les filles restent sous-représentées dans la création, l’utilisation et la réglementation de la technologie.

Elles sont moins susceptibles d’utiliser les services numériques ou d’entamer des carrières liées à la technologie, et s’exposent à un risque accru de harcèlement et de violence en ligne. C’est pourquoi, il est crucial que l’élan d’innovations technologiques dans tous les domaines de politiques, à la gestion, la finance, la science se doit de bousculer les pratiques dans un sens d’annulation des écarts entre les sexes accélérateurs de la réalisation des ODD.