Par Houcine MAIMOUNI

 

Avec l’accord scellé, dimanche, entre les deux plus grands partis politiques estoniens, le pays balte aura balisé le terrain pour l’accession au gouvernail d’une “europhile” qui présidera, désormais, un nouveau gouvernement, le premier à être dirigé par une femme dans l’histoire du pays.

La présidente du Parti réformiste de centre-droit, Kaja Kallas (43 ans), sera la cheffe du prochain gouvernement, suite à un accord conclu avec le Parti du Centre au pouvoir dans ce pays membre de l’Union européenne et de l’OTAN depuis 2004.

Le prochain gouvernement, qui sera nommé dans les prochains jours, sera composé, outre Mme Kallas, de 14 ministres, sept portefeuilles pour chacun des deux partis, avec le soutien d’une majorité au Parlement Riigikogu, composé de 101 sièges.

Dans une déclaration conjointe, les deux partis ont assuré qu’ils “formeront un gouvernement qui continuera à résoudre efficacement la crise du Covid-19, à garder l’Estonie tournée vers l’avenir et à développer toutes les zones et régions de notre pays”.

En attendant l’approbation des législateurs, Mme Kallas, avocate et ancienne députée du Parlement européen, deviendrait la première femme cheffe de gouvernement du petit pays balte de 1,3 million d’habitants qui a retrouvé son indépendance au milieu de la chute de l’Union soviétique en 1991.

Présentant son futur cabinet, elle a indiqué que l’idée derrière “était de trouver un équilibre entre les hommes et les femmes et entre l’expérience et la nouveauté”.

Fille de Siim Kallas, ancien Premier ministre, ancien commissaire européen, et un des fondateurs du Parti réformiste, Kaja Kallas a pris les rênes du parti en 2018 en tant que première femme à ce poste.

Quoi de plus normal que des postes-clés soient confiés à des femmes comme Keit Pentus-Rosimannus au ministère des Finances et la diplomate Eva-Maria Liimets aux Affaires étrangères ?

Côté expérience, elle a ratissé large en reprenant aux commandes des chevronnés comme Kalle Laanet à la Défense, Urmas Kruuse aux Affaires rurales, ou encore Maris Lauri au Département de la Justice.

“L’important est que les deux partenaires se sentent bien dans leur coopération. Il n’y a pas d’autre moyen de former une coalition”, a-t-elle déclaré.

Plus tôt ce mois-ci, Kersti Kaljulaid, première femme chef d’État d’Estonie depuis 2016, avait chargé Mme Kallas de former un nouveau gouvernement en remplacement du cabinet précédent emporté par un scandale de corruption.

Quoique vainqueur des législatives de 2019, le Parti réformiste de Mme Kallas, une passionnée de l’innovation et de la révolution technologique numérique, n’a pas obtenu une majorité absolue et n’a pas réussi à construire une coalition gouvernementale.

Du coup, le Parti du centre aux penchants plutôt à gauche, dirigé par Juri Ratas, a formé une coalition tripartite, incluant le parti conservateur Fatherland et le populiste EKRE, le troisième plus grand parti du pays qui mène un programme nationaliste, anti-immigration et ouvertement anti-UE.

Instable dès le départ, le gouvernement de Ratas, en poste depuis avril 2019, a été rudement secoué par les positions peu amènes de son allié encombrant et des dirigeants de ce parti Mart Helme et son fils Martin Helme.

Le coup de grâce est arrivé avec les révélations d’un scandale impliquant un responsable clé du Parti du centre soupçonné d’avoir accepté un don privé pour le parti en échange d’une faveur politique sur un développement immobilier dans le quartier portuaire de la capitale, Tallinn.

Dans cette affaire, un fait rare dans un pays nordique, le Parti du centre et cinq personnes sont visés par une enquête criminelle pour des faits de corruption, mêlant politique, immobilier et gros sous.

“Je n’ai pris aucune décision malveillante ou sciemment mauvaise”, se défend Jüri Ratas, Premier ministre d’Estonie depuis novembre 2016, par ailleurs ancien maire de Tallinn.

Alors que l’enquête judiciaire fait son bonhomme de chemin, avec chaque jour de nouvelles révélations, le dirigeant d’EKRE, Mart Helme, dénonce déjà à hue et à dia “un gouvernement de pions. Ces gens – à quelques exceptions près – ne traceront pas le cours de ce gouvernement ou ne seront pas impliqués dans la prise de décisions financières majeures. Toutes ces décisions seront prises en partie dans les coulisses”.

Il faut dire aussi que Mme Kallas, dont le Parti réformiste se définit comme “le leader de la vision libérale du monde en Estonie”, a exclu d’emblée d’inclure EKRE dans son cabinet, invoquant des différences considérables de valeurs.

La sagesse estonienne retient ce proverbe : “Une chèvre qui donne du lait vaut mieux qu’une vache stérile”. A méditer!