Karim AOUIFIA
Nations Unies (New York)- Le constat interpelle à plus d’un titre selon les Nations Unies: durant les deux dernières décennies, les avancées en matière des droits des femmes ont été reléguées au second plan, cédant le pas face à une multitude de défis exacerbés par les répercussions de la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et les crises alimentaire et climatique.
De l’égalité des genres, à l’autonomisation économique, en passant par l’équité digitale et la lutte contre la violence en ligne, les efforts piétinent et appellent un engagement renouvelé des gouvernements pour réaliser l’objectif N°5 de l’agenda des Nations Unies pour le développement durable d’ici 2030.
C’est dans ce contexte que se tient à New York la 67è session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW67), en mettant un accent particulier sur les moyens de réduire l’écart “important” entre les sexes en matière d’innovation et de technologie.
Sur ce sujet intimement lié au développement durable, la présidente de la CSW67, Mathu Joyini a reconnu, lors de la séance d’ouverture de cet événement, que les technologies numériques transforment rapidement les sociétés, donnant lieu à de nouveaux défis “profonds” qui peuvent perpétuer et approfondir les inégalités existantes entre les sexes.
“La discrimination fondée sur le sexe est un problème systémique qui s’est imbriqué dans le tissu de nos vies politiques, sociales et économiques, et le secteur de la technologie n’est pas différent”, a-t-elle lancé lors de cette session qui passe au crible les moyens susceptibles de permettre la réalisation de l’égalité des genres, l’autonomisation et le développement durable à l’ère numérique.
Prenant la parole lors de cette grand-messe onusienne à laquelle participe le Maroc par une délégation composée notamment de la ministre de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille, Aawatif Hayar et le wali-coordinateur national de l’Initiative nationale pour le développement humain, Mohamed Dardouri, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres n’a pas maché ses mots, en soulignant que les progrès en matière de droits des femmes “s’évanouissent devant nos yeux”, de l’Afghanistan, où les femmes et les filles ont été effacées de la vie publique, aux pays les plus riches, où les droits procréatifs des femmes sont mise à rude épreuve.
Citant des données d’ONU-Femmes, le chef de l’ONU a affirmé que “l’égalité des genres est un horizon de plus en plus lointain”, en relevant qu’au “rythme actuel, il faudra attendre 300 ans pour l’atteindre”. Il a pointé du doigt l’augmentation de la mortalité maternelle ainsi que l’impact disproportionné sur les femmes de la pandémie de Covid-19 et des conflits armés dans le monde.
“Cette année, vous vous intéressez en particulier à la réduction des disparités entre les genres dans les domaines de la technologie et de l’innovation. Le moment ne pourrait pas être mieux choisi”, a-t-il dit à l’adresse des participants, en reconnaissant qu’au moment où “la technologie avance à toute allure, les femmes et les filles sont laissées à la traîne”.
Pour inverser la tendance, les Nations Unies estiment que la communauté internationale doit instaurer un environnement numérique sûr pour les femmes et les filles, à travers l’élaboration d’un code de conduite pour l’intégrité de l’information sur les plateformes numériques, visant à réduire les dégâts et à accroître la responsabilité.
Aux yeux du haut responsable onusien, la promotion de la pleine contribution des femmes à la science, à la technologie et à l’innovation n’est pas un acte de charité ou une faveur envers les femmes, mais un “must” qui profite à tous.
Abondant dans le même sens, le président de l’Assemblée générale de l’ONU, Csaba Kőrösi insiste que le monde a besoin de l’expertise des femmes pour faire face à des crises complexes et imbriquées, telles que le changement climatique, les conflits, la pauvreté, la faim et la pénurie d’eau.
Or, a-t-il noté, les femmes sont encore minoritaires dans les technologies de l’information numérique, l’informatique, la physique, les mathématiques et l’ingénierie, et représentent moins de 35% de la main-d’œuvre mondiale des technologies de l’information et des communications.
“Elles sont 20% moins susceptibles que les hommes d’utiliser l’Internet, mais 27 fois plus susceptibles d’être victimes de harcèlement ou de discours de haine en ligne, lorsqu’elles le font”, a-t-il alerté, soulignant que si les nouvelles technologies sont bien utilisées, elles constituent “une force puissante et égalisatrice pour changer rapidement cet état des choses”.
Au cours des débats et tables rondes qui marquent cette nouvelle session dont les travaux se poursuivent jusqu’au 17 mars, la majorité des Etats membres comme le Royaume du Maroc ont souligné la centralité des droits des femmes dans leurs agendas nationaux respectifs, en indiquant que la femme est partie prenante dans la dynamique qui aspire à la réalisation du développement durable d’ici 2030.
Représentant la délégation marocaine à la séance d’ouverture, Mme Hayar a affirmé que les femmes et les filles poitent au cœur du nouveau modèle de développement qui soutient les fondements d’une économie concurrentielle inclusive et durable, basée sur l’innovation et la digitalisation et qui tient compte des aspirations de toutes les catégories.
Elle a précisé que le Royaume a adopté des réformes majeures basées sur la numérisation, telles que le lancement de la Academia Raqmya (Académie digitale) et de l’Académie Tamkin en faveur des femmes en situation de vulnérabilité et la mise à niveau d’infrastructures administratives et institutionnelles afin de réduire la fracture numérique et renforcer l’accès gratuit aux services numérisés, notamment pour les catégories en situation de précarité.
Pour les Nations Unies, l’objectif escompté dans les quatre coins du monde est de veiller à ce que les femmes disposent de davantage d’opportunités en matière d’innovation, et d’éliminer les algorithmes qui perpétuent et approfondissent la discrimination et les préjugés existants.
Dans ce cadre, ONU-Femmes recommande de combler tous les fossés en matière d’accès numérique et de compétences, pousser les femmes et les filles à s’engager dans la voie des filières STIM (sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques), créer des technologies qui répondent aux besoins des femmes et des filles et lutter contre la violence de genre facilitée par la technologie.
De l’avis des observateurs, ces objectifs ne relèvent pas de l’utopie mais de la réalité pure et simple et leur réalisation appelle un engagement sincère et une volonté politique de toutes les parties prenantes.