Rachid MAMOUNI.

Buenos Aires- Alors que ses fervents partisans l’attendaient le 25 mai pour célébrer, doublement, la fête de l’indépendance et son éventuelle candidature aux prochaines présidentielles, l’ex-présidente d’Argentine Cristina Kirchner vient de lancer un pavé dans la mare. Elle n’a aucune intention de se présenter au scrutin et se refuse de jouer le rôle de « mascotte du pouvoir ».

Comme à son habitude depuis plusieurs années, l’ancienne présidente a utilisé ses réseaux sociaux pour annoncer sa décision. Elle n’y est pas allée par quatre chemins. “Je ne serai pas la mascotte du pouvoir à travers une quelconque candidature”. Le message à triple bande s’adresse à ses amis politiques au sein de la coalition du centre-gauche « Le Front de Tous ». Il est aussi destiné à ses adversaires politiques dans la coalition du centre-droit qui aspirent à revenir au pouvoir. Et enfin, Cristina Kirchner vise les quatre magistrats de la Cour suprême qui viennent de la condamner à 6 ans de prison pour corruption, tout en maintenant suspendue au-dessus de sa tête l’épée de Damoclès dans d’autres affaires.

“Je ne vais pas entrer dans le jeu pervers qui nous est imposé avec une façade démocratique pour que ces mêmes juges, qui siègent maintenant à la Cour suprême, rendent une décision me disqualifiant ou me retirant directement de toute candidature que je pourrais avoir, afin de laisser le péronisme dans une fragilité et une faiblesse absolues dans la compétition électorale. Les événements récents m’ont donné raison”, a-t-elle résumé la quintessence de son combat à venir.

L’impact de cette annonce est loin d’être anodin. Ses conséquences sur son propre mouvement politique ne manqueront pas de se faire ressentir bien au-delà du scrutin d’octobre prochain, quoique le péronisme, depuis les années 50 du siècle passé, a bien l’habitude de se réinventer.

La carrière politique de Cristina Kirchner se confond avec les 40 dernières années de la démocratie en Argentine, depuis que la dictature militaire a été évincée en 1983 et a cédé le pouvoir à des gouvernements démocratiquement élus.

Au fil des années, elle était devenue une figure centrale de la vie politique, d’abord sous le mandat de son défunt mari, Nestor Kirchner (2003-2007) puis elle a connu la consécration en tant première femme chef d’Etat entre 2007 et 2015, faisant du mouvement peroniste ( du nom de l’ancien président Juan Domingo Peron) une pièce centrale de l’échiquier politique.

Ce sera la première fois, depuis le retour de la démocratie en Argentine, que son nom, selon ses propres mots, « ne sera inscrit sur aucun bulletin de vote ».

Son désistement, qui découle d’une « « décision raisonnable et bien pensée”, a provoqué une onde de choc dans les rangs de ses partisans qui voyaient en elle le seul personnage politique capable d’éviter un naufrage de la majorité, malmenée par une crise économique étouffante, un marché de change très volatile et une inflation exaspérante.

Avant elle, l’actuel président Alberto Fernandez avait lui aussi annoncé son désistement, affirmant qu’il privilégie de concentrer ses efforts, pendant les sept mois restants de son mandat, sur la résolution des difficultés économiques du pays.

Désemparé, le mouvement péroniste, qui gardait jusqu’à ce fatidique mardi après-midi l’espoir de convaincre son égérie de se présenter au scrutin, s’est lancé immédiatement à la recherche d’un candidat favori.

Le quotidien Pagina12, proche des milieux du centre-gauche en Argentine, a passé en revue les membres de la coalition qui auraient des chances de l’emporter : l’actuel premier ministre, Agustin Rossi, le ministre de l’économie, Sergio Massa, le ministre de l’intérieur, Wado de Pedro, l’ambassadeur au Brésil, Daniel Scioli et le gouverneur de la province de Buenos Airs, Axel Kicillof.

Sur le flanc centre-droit de la scène politique, la jubilation était à peine contenue. Ses principaux leaders voient ainsi un adversaire de taille jeter l’éponge, ce qui renforcerait les chances de l’opposition de revenir à la Casa Rosada (siège du gouvernement) le 10 décembre prochain.

La sortie de Cristina Kirchner de la course présidentielle brouille davantage les cartes, dans un contexte non moins embrouillé.

Les derniers chiffres de l’inflation font état d’un taux qui frôle 109% par an, conjuguée à un taux de change du dollar affolant et des réserves internationales qui se réduisent comme peau de chagrin. La sécheresse qui sévit dans le pays depuis plusieurs mois a fini par assombrir l’horizon.

Au moment où Cristina Kirchner refuse d’endosser le rôle d’une « mascotte du pouvoir », le péronisme légendaire a besoin plus que jamais d’un étalon de course pour espérer présider aux destinées du pays pendant les quatre prochaines années.