Par Mohamed Saad BOUYAFRI
Londres- Au milieu d’un Royaume-Uni à la tradition théâtrale séculaire, grâce notamment à l’œuvre de Shakespeare et à la renommée internationale de la West End, Safia Lamrani se fraie un chemin vers la gloire de manière assez singulière.
Natif de Leicester d’une mère anglaise et d’un père marocain, l’artiste honore son double héritage culturel en interprétant à la fois les grands classiques britanniques, comme Helena dans “Le songe d’une nuit d’été”, et des pièces inspirées du folklore du Maroc sur les scènes de Londres.
“Ma scolarité était britannique, tandis que mes étés à Tanger, ainsi que les influences de mon père à la maison, m’ont gardé proche du Maroc et de tout ce qu’il représente”, confie-t-elle à la MAP.
Sa passion pour le théâtre est quasi innée puisqu’elle a commencé à monter sur les planches dès son plus jeune âge, participant à toutes les productions scolaires et prenant part à l’ensemble des clubs de théâtre. Pourtant, l’idée d’en faire sa profession ne semblait pas être une option lorsqu’elle préparait studieusement ses A-Levels en biologie.
“Ce n’est que plus tard, au cours du dernier trimestre de ma licence en littérature anglaise à l’université de Warwick, que j’ai été confrontée à l’inévitable question : Et maintenant ?”, se rappelle-t-elle. “Je me souviens être restée assise à mon bureau pendant des heures, à postuler pour divers emplois sans être capable de répondre honnêtement à la question qui figurait en tête de chaque candidature : Pourquoi voulez-vous ce poste?”.
“La vérité est que je ne le voulais pas”, confie Safia. “Quel que soit le travail pour lequel je postulais, mon cœur n’y était pas. Je voulais être une actrice”.
“J’ai donc décidé que je devais faire de l’art dramatique non pas un simple passe-temps, mais une profession, je devais au moins essayer”, explique Safia avec conviction, soulignant avoir ainsi pris la décision de s’inscrire dans des écoles d’art dramatique à Londres, tout en faisant un master à la Guildford School of Acting.
Interrogé sur l’apport de l’apprentissage de la langue arabe, Safia relève qu’il a été “inestimable à tous les égards”. ‘’Je peux à la fois communiquer plus amplement avec ma famille et passer du temps au Maroc sans me sentir comme une touriste’’, dit-elle amusée, notant que cela lui a également permis de se sentir plus proche de la communauté marocaine de Londres.
“Apprendre l’arabe, en particulier la Darija, m’a permis de me sentir plus autonome en tant que Marocaine”, assure Safia, précisant que cela lui a permis une meilleure compréhension des pensées et des nuances de la culture et des traditions marocaines.
Ces traditions, c’est sur scène que Safia les exprime en interprétant des personnages du folklore marocain comme Aicha Kandisha ou en puisant dans la vie de personnalités reconnues comme Fatima Mernissi.
“Quand j’étais plus jeune, le personnage d’Aicha Kandisha me terrifiait”, révèle Safia. “Ainsi, lorsque j’ai commencé à me pencher sur le folklore marocain, simplement pour le plaisir, j’ai retrouvé ce personnage et j’ai décidé d’affronter cette peur d’enfant et d’en apprendre davantage sur Aicha”.
“Plus je découvrais de choses et plus je m’intéressais à elle”, reconnait-elle, faisant notamment allusion à son histoire de guerrière qui affrontait les colons portugais au 14e siècle. “Ce récit d’une combattante qui devient une histoire d’horreur et une figure djinn m’a fascinée”.
Tout en soulignant l’importance des contes populaires dans la culture marocaine, Safia estime que grâce à eux, ‘’nous pouvons en apprendre plus sur l’art et sur nous-mêmes en tant que société’’. En interprétant ce personnage à Londres, elle voulait “aider ces histoires non seulement à survivre, mais aussi à toucher un public qu’elles n’auraient pas atteint autrement”.
Pour ses projets futurs, l’actrice talentueuse travaille sur un one-woman-show, inspiré de la vie de Fatima Mernissi. Un projet qui lui tient à cœur et pour lequel elle est optimiste, particulièrement après les retours positifs qu’elle a reçu après en avoir présenté un extrait lors du dernier “Out The Shell” de la compagnie théâtrale “Pistachio”, dont elle est co-fondatrice.
Travailler avec un personnage réel est un défi, car je veux lui rendre hommage et respecter sa vie, tout en ajoutant de la fiction et ma propre interprétation, détaille Safia, assurant toutefois que s’exercer sur le parcours d’une femme aussi forte et ambitieuse est une “réelle source d’inspiration”.
“Maintenant, je développe le scénario complet et je travaille avec des artistes à Tanger et à Londres, pour espérer porter la pièce sur les scènes des deux pays”, ambitionne-t-elle.
Bien qu’avide de nouveautés, avec pour aspiration de continuer à mettre en lumière sa culture arabo-musulmane, Safia ne manque pas d’exprimer sa gratitude pour le parcours flamboyant de sa jeune carrière.
“Parfois, je dois m’arrêter et me rappeler que là où je suis maintenant, c’est exactement là où j’aurais rêvé d’être pendant les heures passées à étudier à la bibliothèque”, se réjouit-elle.
‘’Le fait de travailler dans un secteur qui évolue rapidement nous pousse à toujours penser à l’étape suivante’’, analyse Safia. “Cependant, il est important de profiter du moment présent, de faire preuve de gratitude et de réaliser que je suis exactement là où je suis censée être”, conclut-elle sereinement.