Par Laïla EL ALAMI
Derrière ses lunettes de protection, un regard grand et saisissant en dit long sur la personnalité percutante d’une artisane qui voue, depuis deux ans, tout son temps au travail de l’or et de l’argent.
Chalumeau dans la main, briquet dans l’autre, Lamiae Skalli n’a pas peur du chaos. Habituée aux martèlements qui rythment son quotidien, elle ne semble pas le moins gênée par l’ambiance bruyante de cet atelier brouillon.
Elle s’y retrouve et on la retrouve, à notre tour, dans chaque coin de cet espace, bizarrement chaleureux.
Bien partie pour une carrière dans le commerce, cette native de Fès décide envers et contre tout d’explorer de nouvelles voies, s’en allant réveiller une passion jusque-là somnolente.
Ne s’estimant pas à son plein potentiel en entreprise et décidée à se reconvertir, elle se rend alors à Istanbul en 2018 sans aucun apriori.
“A l’époque j’étais ouverte à beaucoup de possibilités et j’étais prête à apprendre et à recevoir autant que possible”, raconte Lamiae qui, armée d’une volonté de fer, avait pensé ce voyage comme une réelle quête de soi.
Et c’est un heureux hasard et une belle rencontre qui bouleverseront, à jamais, le destin de la jeune femme.
“J’ai croisé cette artisane bijoutière qui fabriquait tous ses articles dans son atelier”, se rappelle-t-elle, le sourire plein les yeux.
Touchée par “la noblesse” de ce savoir-faire, Lamiae demandera à Elif si elle peut lui servir d’apprentie, elle qui ni par son vécu, ni par son éducation, n’était prédestinée à un travail purement manuel.
“Elle a accepté et pendant dix jours, elle m’a appris les bases du métier”, poursuit-elle, comme si elle n’en revenait toujours pas, deux ans plus tard.
Marquée par cette expérience, Lamiae investit dès son retour au Maroc dans du matériel et met en place un premier plan de travail qu’elle installera au sous-sol de la maison de ses parents, à Fès.
“Je ne voulais pas rompre mon apprentissage, car j’avais très peur d’oublier ce que j’avais assimilé comme connaissances”.
Déterminée à se perfectionner, Lamiae rejoint alors un centre de formation professionnelle dans les métiers de l’artisanat à Fès.
“J’ai demandé au maître artisan qui tenait l’atelier de bijouterie si je pouvais assister à ses cours et j’ai fini par passer près de six mois en apprentissage”, affirme-t-elle, soulignant que c’est essentiellement là qu’elle a affiné et poli ses techniques.
Au terme de sa formation, Lamiae s’installe dans son nouvel atelier et commence, petit à petit, à prendre conscience de la nature d’une industrie qui n’a jamais vraiment été conçue pour les femmes.
“Plus je m’immergeais dans l’industrie, plus je me sentais intimidée”, confie-t-elle, le ton dur, lourd d’amertume.
“Je devais établir des contacts avec des confrères travaillant dans d’autres ateliers pour qu’ils me présentent à des fournisseurs qui, aujourd’hui encore, continuent de me tester en me posant toutes sortes de questions techniques pour s’assurer que je suis effectivement du domaine”, s’étonne-t-elle.
“Je m’amuse à leur crier que je soude mon propre métal à chaque fois qu’on m’interpelle sur mes motivations”, ironise la bijoutière, visiblement fière d’avoir réussi à briser un plafond de verre et de s’être défaite, avec succès, de croyances souvent accablantes pour les femmes.
“Mais vous savez, ce sont ces choses-là qui me poussent à aller loin dans mon processus et me permettent, à travers mes créations et ma marque, d’apaiser mes ressentiments et d’exprimer ma ténacité et mon audace”, déclare cette artisane imbattable.
Par ailleurs, Lamiae ne fait pas que concevoir et fabriquer des bijoux. Comme dans un élan de gratitude, elle propose à qui le souhaite de découvrir son art autrement, en supervisant des ateliers d’initiation à la bijouterie, intégrant ainsi l’humain à l’entité et faisant vivre l’expérience de l’artisan aux non-artisans.
“Nous avons l’habitude de voir les produits finis et, si on en a la chance, d’apercevoir çà et là un artisan s’atteler à la tâche au fond de son magasin”, explique-t-elle, “mais il est rare d’accéder à un atelier, de sentir la matière première et de découvrir la face cachée du produit exposé en vitrine”.
“C’est cette expérience que j’offre. Celle de venir à mon atelier et de faire un bijou soi-même, afin de mieux comprendre le produit et d’aborder l’artisanat autrement”.
La beauté dans l’œil, Lamiae a, avec le temps, développé un penchant pour les choses épurées et subtilement raffinées.
Le choix de la simplicité se reflète d’ailleurs dans chacune de ses créations, fabriquées exclusivement à base d’or et d’argent 925.
Manufacturées à la main, une à une, reprenant les méthodes classiques et reproduisant les acquis locaux et ancestraux de l’orfèvrerie, Lamiae veille toutefois à ce que le rendu soit plus original et contemporain.
Elle puise son inspiration dans les éléments essentiels de la vie. De l’eau, à l’air en passant par le sol et la lumière, chaque objet est le reflet d’une force de la nature.
“Actuellement, les formes organiques et brutes de la nature constituent ma principale inspiration”, révèle la créatrice, en nous dévoilant les pièces de sa dernière collection, qu’elle qualifie “de miniatures et de petits bouts de nature”.
Bercée par l’idée d’imperfection qu’elle considère comme un catalyseur de progrès, Lamiae tente, à travers sa démarche globale, de reproduire un message qu’elle se répète un peu comme un mantra, que “même dans nos imperfections, nous restons capables de tout”.
Et parce que personne ne comprend mieux les femmes que les femmes, Lamiae Skalli espère que sa contribution soit aussi simple que celle “d’apporter de l’unicité, de la féminité, du courage et de la force” à toutes celles qui font le choix de la porter.