-Par Abdelilah EDGHOUGUI-
Guercif- Nichée dans les pitons mythiques dans la partie Orientale du Moyen Atlas, la tribu des Béni Ouarain et leur métier à tisser traditionnel ne cessent de donner corps à la somptuosité et la splendeur de l’artisanat marocain, lequel puise ses racines dans les profondeurs historiques et civilisationnelles du Royaume.
En filigrane, le tapis de Béni Ouarain se présente ainsi comme le pur produit de ce tissage traditionnel signé une pléiade de “mâalmates”, qui marient subtilement les fils pour créer un tapis des plus raffinés, et dont les ovins restent les principaux pourvoyeurs de sa laine.
Tissus à la main de velours.
C’est parce que ce n’est pas une dentelle à l’aiguille, le choix de la bonne laine s’avère une mission un peu compliquée pour ces femmes, qui doivent, situation oblige, tomber sur le bon troupeau, l’attraper, puis le tondre et ensuite passer le butin (laine) au crible avant de regagner la coopérative.
En prélude au montage du métier à tisser, un véritable travail de fourmis devrait être pratiqué de justesse, notamment, le lavage, le choix des couleurs et des teintures, ou encore le filage de la laine. Le tout est consenti par des orfèvres ayant opté pour cette activité génératrice de revenu.
En groupes ou solitaires, les tisserandes de Guercif donnent libre cours à leur imagination généreuse pour créer des pièces traditionnelles, en utilisant des motifs et des couleurs diversifiés à même de s’inspirer d’un héritage ancestral.
En mouvement pendulaire ou assises devant un métier à tisser vertical bien tendu, avec deux barres sur les côtés pour limiter les dimensions du tapis, les artisanes méticuleuses de Béni Ouarain déroulent, lors de l’ourdissage, les rouleaux du tissu pour boucler la boucle au fur et à mesure que le travail avance.
Dans les ateliers ou à domicile, les fileuses de Guercif s’efforcent, à l’aide de peignes-battant et de peignes-détacheurs, de créer progressivement des dessins en forme de losanges et de carrés, qui s’installent sereinement au cœur de la laine blanche de leurs chefs d’œuvre.
“Le Tapis de Béni Ouarain se distingue par ses différentes tailles et couleurs qui s’accordent harmonieusement avec tous les styles de décoration notamment les murs, les halls ou encore les sols à l’intérieur des foyers”, a expliqué la présidente de la Coopérative Nour pour l’Artisanat, Milouda Jamil, dans une déclaration à M24, la chaîne d’informations en continu de la MAP.
De l’avis de l’artisane traditionnelle et l’encadrante à l’unité de couture et production de tapis à Guercif, Nouzha Bezza, elle a dit que la fabrication du Tapis de Béni Ouarain passe par plusieurs étapes, à commencer par la tonte et la préparation de la laine de mouton, puis le filage de la laine, pour arriver enfin au tissage selon des méthodes traditionnelles. Une pratique authentique qui dure parfois des jours et des semaines, selon la taille de chaque tapis.
Le Tapis de Béni Ouarain, généralement dominé par le noir et blanc, regorge des motifs et des symboles évoquant un passé lointain, ou notamment le “Tikhamine”, qui se présente sous forme d’un losange faisant référence à “la tente”. Laquelle faisait partie de la routine quotidienne des tribus locales qui menaient une vie de nomade, a-t-elle argué.
Et d’enchaîner qu’il s’agit, à présent, d’introduire des innovations dans ce tapis sans affecter son caractère originel, tout en diversifiant les couleurs et les dessins, en vue de satisfaire les clients et les demandes.
Grâce au PPP, le tapis de Béni Ouarain refuse de se prosterner !
Dans la foulée, en lançant un cri de cœur pour sauvegarder et promouvoir ce savoir-faire authentique à même de le transmettre aux générations futures, ces brodeuses estiment que le tapis de Béni Ouarain se met, cahin caha, le pied dans la porte vers la disparition, notamment à l’ère de l’industriel et du digital.
C’est ainsi qu’elles se sont lancées dans un vaste programme de mise à niveau initié par des associations et des coopératives s’activant dans le domaine, et ce grâce à des Partenariats Public-Privé (PPP).
Dans ce sens, Chaimaa El-Hamdaoui, vice-présidente de l’Association Founoune pour le développement social, a expliqué que l’association œuvre, dans le cadre d’un partenariat avec l’Entraide nationale, pour la formation des femmes dans le domaine de la confection de tapis et autres produits d’artisanat, et ce au sein de l’unité de couture et de production de tapis à Guercif.
“Cette initiative entend favoriser l’insertion professionnelle de ces femmes pour se permettre une certaine autonomie financière, ainsi que les initier à cet art authentique dans la but de le sauvegarder”, a-t-elle dit, notant qu’une vingtaine de femmes bénéficient chaque année de sessions de formation continue dans le domaine de la couture et de la production de tapis.
Et Mme El-Hamdaoui d’ajouter que les bénéficiaires de cette formation, initiée avec l’appui du ministère de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille, se sont organisés en coopératives pour générer des revenus à même de stimuler leur créativité, et participer à des salons pour commercialiser leurs produits.
Le marketing électronique, la formule de la réussite.
Ainsi, face à la réalité complexe de la faiblesse du marketing et de la commercialisation du Tapis de Béni Ouarain, et à laquelle font face les artisanes, le recours aux réseaux sociaux et au commerce en ligne s’avère une idée idoine, voire nécessaire pour valoriser leurs produits.
A cet égard, les artisanes de ce tapis marocain sont appelées à saisir cette nouvelle donne afin promouvoir leur savoir-faire et investir de nouveaux marchés pour commercialiser ce produit très prisé, notamment à l’échelle internationale.
Nul doute, le Tapis de Béni Ouarain reste l’un des produits d’artisanat traditionnel qui ont résisté aux manifestations fulgurantes de la modernité pour préserver une partie de l’identité culturelle marocaine. D’où, une attention particulière doit être accordée à ce secteur, notamment à travers l’élaboration de programmes efficaces pour la promotion et la valorisation de ce tapis marocain, ainsi que l’adoption d’une stratégie pour l’accompagnement et l’inclusion des femmes artisanes.
Dans le droit fil des idées, le ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie Sociale et Solidaire a fait remarquer que l’artisanat fait travailler quelque 2,4 millions d’artisanes et artisans (2ème du Royaume).
Pour capitaliser sur les acquis et en vue de renforcer davantage son rôle économique et sa contribution dans le développement du pays et renforcer son rôle essentiel dans la préservation de l’identité et du patrimoine immatériel national, le Département de tutelle a mis en place la Stratégie de développement de l’Artisanat à l’horizon 2030.
Cette stratégie qui concerne aussi bien les acteurs, les filières ainsi que les maillons de la chaîne de valeur se veut être inclusive, intégrée et intégrante de l’ensemble des acteurs et des filières du secteur, tout en adoptant une approche ciblée et différenciée.
In fine, c’est un secret de polichinelle que chaque foyer de la région de Guercif soit pourvu de ce tapis marocain.