Par Meriem RKIOUAK
Rabat- Médecin cardiologue, romancière, metteuse en scène, élue communale, associative… Souad Jamaï est une femme surbookée mais elle ne s’en plaint pas. Méticuleuse et débordant d’énergie, elle met du cœur à l’ouvrage, croyant dur comme fer à la noble mission des toubibs pour guérir les maladies des gens et des écrivains pour remédier à celles de la société.
Avec ses cheveux roux mi-longs, son visage ovale éclairé d’un sourire plein de bonhomie et sa silhouette longiligne, cette maman de deux adolescents affiche une admirable jeunesse de corps et d’esprit. Au Salon international de l’édition et du livre de Rabat où la MAP l’a rencontrée pour la présentation de son dernier ouvrage “La version des fées”, l’écrivaine passe comme un papillon d’un stand à l’autre. Rédigeant une dédicace par-ci, donnant une poignée de main par-là, elle dégage une belle énergie communicative héritée certes de son métier de médecin mais aussi de ses multiples voyages à travers le monde.
C’est à l’âge de 6 ans que Souad a quitté le Maroc pour suivre son père, diplomate, dans les pays où il a été affecté. Ce fut alors le début d’un long périple qui a conduit la native de Rabat notamment en France, Belgique, Espagne, Allemagne et Ethiopie. L’écrivaine-artiste s’estime chanceuse d’avoir pu faire autant de déplacements qui ont ouvert ses yeux sur des sociétés et des cultures très variées.
“Quand on change de pays tous les trois ans, on apprend à aller vers les autres, on s’intègre plus facilement dans la société d’accueil et, autre chose importante, on maîtrise plusieurs langues. C’est une expérience très enrichissante au niveau culturel”, confie à la MAP la médecin polyglotte qui parle couramment l’arabe, le français, l’anglais et l’allemand, entre autres.
Studieuse et ambitieuse, Souad obtient haut la main ses diplômes de cardiologie, de médecine d’urgence, de médecine du travail et de médecine aéronautique en France où elle exerce à partir de 1988 comme attachée dans les hôpitaux parisiens avant de rentrer au Maroc, précisément dans sa ville natale Rabat, pour ouvrir un cabinet de cardiologie.
Après de longues années de dépaysement, Souad était avide d’en savoir plus sur le Maroc et la société marocaine. Sa pratique de la médecine, une profession basée sur le relationnel et le contact humain, lui en a donné l’opportunité.
“La salle d’attente de mon cabinet, peuplée de gens de tous les âges et les milieux sociaux, était comme un microcosme de la société. C’est là où j’ai pu rencontrer la culture de mon pays que j’ignorais jusque là à cause de mes longues années d’absence”, assure-t-elle.
Pendant des années, la toubib s’est contentée d’observer et d’”emmagasiner” dans sa mémoire ces scènes, anecdotes et faits insolites qui se déroulent dans son cabinet et qui en disent long sur la mentalité des gens et les mœurs de la société.
Ce n’est qu’en 2016 que notre interlocutrice a ressenti que le “fruit était mûr” et qu’il était temps de “passer à l’acte” pour partager avec le lecteur ses observations et réflexions. Il n’y avait pas mieux que le roman pour faire passer le message, en douceur et en profondeur. C’est ainsi qu’est né “Un toubib dans la ville”, un roman burlesque dont le théâtre n’est autre que la salle d’attente de Dr Ali, un médecin fraîchement arrivé d’Europe qui éprouve une sorte de choc culturel au contact d’une variété de patients aussi drôles que pathétiques.
Coup de cœur immédiat pour ce baptême de feu de la cardiologue au pays des lettres: “Un toubib dans la ville” a été un succès de librairie, réédité à plusieurs reprises depuis, et a même été adapté au théâtre par une troupe constituée par Souad elle-même (qui s’est chargée de la mise en scène) et dont les comédiens étaient tous des…médecins cardiologues. “Une première mondiale”, se réjouit l’écrivaine-artiste, ajoutant que “l’idée, originale, a beaucoup plu aux gens”.
Confortée par cet accueil chaleureux des lecteurs et de la critique, Souad Jamaï, devenue accro à l’écriture, a récidivé avec “Le K-barré des médecins” (pièce de théâtre, 2018), “Des ailes de papier” (2019) et “Le serment du dernier messager” (2021), trois opus où il est toujours question du domaine médical, ses dysfonctionnements et ses dérives.
Outre le “bonheur d’écrire” qui l’anime, Souad, qui clame haut et fort son “engagement” pour l’humain où qu’il soit et se dit influencée par la pensée de feue Fatema Mernissi, dit vouloir “transmettre certains messages, notamment concernant les anomalies du milieu médical et de la société en général, ici comme ailleurs, et ainsi contribuer un tant soit peu à faire évoluer les choses”.
Pour traduire cet engagement dans les faits, Souad joint l’acte à “l’écrit”. Les bénéfices du spectacle “Un toubib dans la ville” ont ainsi été versés à une association qui prend en charge les enfants démunis souffrant de maladies cardiaques. Intellectuelle au verbe haut et cardiologue au grand cœur, Souad Jamaï est une écrivaine à suivre.