Par Nadia EL HACHIMI

Moscou- Le Maroc, ses couleurs, ses paysages, son architecture et ses habitants ont inspiré les plus grands peintres. D’Eugène Delacroix à Salvador Dali, nombreux sont les artistes qui ont couché sur la toile leur fascination pour le Royaume. Or, l’histoire ne retient que peu de noms féminins ayant suivi la même voie au début du XXème siècle. Zinaïda Serebriakova est l’une des rares artistes qui ont su capter de manière magistrale l’âme du Maroc à travers une sélection d’œuvres réalisées entre 1928 et 1932.

Née le 28 novembre 1884 à Neskoutchnoïe, en Russie impériale, Zinaïda est issue d’une lignée de peintres reconnus, les Lanceray, ancienne famille d’origine française, immigrée au XVIIIe siècle en Russie.

Tout prédestinait Serebriakova à une belle carrière artistique : son grand-père, Nikolaï Benois était un éminent architecte, son père, Eugène Lanceray, un sculpteur de renom, et sa mère, Ekaterina, une peintre et graphiste.

Après des études au lycée pour jeunes filles, Zinaïda rejoint l’Ecole des Beaux-arts en 1900. Entre 1903 et 1905, elle aiguise ses talents artistiques auprès du peintre Ossip Emmanouïlovitch Braz. Puis, en 1905-1906, elle étudie à l’Académie de la Grande Chaumière à Paris.

En 1905, Zinaïda épouse Boris Serebriakov et prend son nom de famille. Ensemble, ils ont quatre enfants : Evgueni, Alexandre, Tatiana et Ekaterina.

Serebriakova se fait connaître grâce à son autoportrait “À la table de toilette”, présenté en 1910 lors d’une exposition organisée par l’association d’artistes russes “Miir Iskustva” (Monde de l’art).

Les portraits sont d’ailleurs un thème récurrent dans l’œuvre de l’artiste, qui incarne la beauté et la poésie de l’âge d’argent russe. Romantiques et sereins, les personnages de ses toiles semblent vivre en dehors des tempêtes de la vie, contrairement à Zinaïda qui les a subis de plein fouet.

Ruinée après la confiscation de ses biens familiaux pendant la révolution de 1917 et endeuillée par le décès de son époux du typhus en 1919, l’artiste s’est retrouvée malgré elle en exil forcé.

Refusant de dessiner les portraits des hommes politiques bolcheviques, Zinaïda gagne Paris en 1924 sans pouvoir emmener avec elle ses enfants qu’elle ne reverra qu’après la mort de Staline en 1953.

Séduit par le talent de l’artiste lors d’une rétrospective sur l’art russe, présentée à Bruxelles en 1928, le baron belge Jean de Brouwer invite Zinaïda à visiter l’Afrique. De quoi combler l’attrait pour l’exotisme de l’artiste.

Au cours d’un voyage de six semaines au Maroc en décembre 1928, Zinaïda réalise plus de cent trente “esquisses” et “croquis” de la vie quotidienne de Marrakech. Délaissant les paysages de la ville ocre, elle est plus fascinée par les charmeurs de serpents de la place Jemaa el-Fna, les buveurs de thé, les marchands du souk et par les artisans.

Au printemps 1929, Paris accueille une exposition dédiée à sa série marocaine, laquelle est accueillie avec une admiration certaine de la part du public.

Lors d’un second séjour au Maroc en 1932, l’artiste visite Fès, Sefrou et Moulay Idriss, immortalisant ses découvertes dans un pastel qui deviendra sa signature.

Attirée par les couleurs vives et les habitants aux tissus colorés, l’artiste immortalise des moments de la vie quotidienne du Maroc. Caftans, Djellabas, expressions faciales…rien n’échappe à l’inspiration débordante de Zinaïda.

De retour à Paris, elle organise en décembre 1932 sa propre exposition à la galerie Charpentier à Paris. Jusque-là, les peintres femmes ne pouvaient espérer que “faire partie” d’une exposition, sans jamais prétendre avoir la vedette.

Zinaïda Serebriakova est la première femme à être reconnue comme une artiste majeure. L’Union soviétique, après la mort de Staline, lui dédia d’ailleurs une immense exposition au milieu des années 60.

Après des années en exil, l’artiste s’éteint en 1967 à Paris, à l’âge de 82 ans.

En 2014, un hommage posthume lui a été rendu par la galerie Tretiakov à Moscou, à travers une exposition dédiée aux œuvres peintes durant sa période d’exil. A cette occasion, une partie de sa série marocaine a été dévoilée au public moscovite.

Six ans plus tard, le 10 décembre 2020, Zinaïda a eu droit à son propre doodle en hommage à “une artiste réputée pour son style réaliste et joyeux, qui a prospéré à une époque où les femmes peintres étaient rarement reconnues”.

A travers ses portraits hors du commun, Zinaïda Serebriakova a su s’imposer dans un milieu masculin grâce à sa patte particulière (et quelques appuis, comme tout artiste).