Tunis – La nomination mercredi, après plus de deux mois d’attente et de vaines spéculations, de Mme Najla Bouden en tant que nouvelle cheffe de gouvernement tunisien, a surpris à plus d’un titre.
Le communiqué laconique publié pour la circonstance n’a pas élucidé le mystère que cache la propulsion de cette universitaire, inconnue du milieu politique et absente des débats publics qui ont depuis 2011 retenu l’attention de l’opinion publique.
Le président tunisien Kaïs Saïed a toujours cherché, depuis son accession à la présidence de la république depuis 2019, à surprendre, à prendre à contre-pied la classe politique et à fausser tous les pronostics.
Il a, dans le cas d’espèce, su et pu entretenir jusqu’au bout le mystère, cacher son jeu en ne succombant pas aux fortes pressions qui lui ont été exercées. Il a fait son choix de nommer seul, pour la première fois depuis l’indépendance de la Tunisie, une femme pour assumer la lourde tâche de présider le 3ème gouvernement depuis son élection en 2019.
A l’évidence, la nouvelle cheffe de gouvernement présente un cursus atypique. Elle ne vient ni du milieu politique, ni de l’administration et ne fait pas partie de la classe des technocrates.
Cette native de Kairouan (centre ouest), âgée de 63 ans, est docteure en géologie et enseigne en tant que professeure de l’enseignement supérieur à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis.
Elle occupe actuellement le poste de chargée de mise en œuvre des programmes de la Banque mondiale au ministère de l’Enseignement supérieur.
En 2016, elle avait été chargée des fonctions de cheffe de l’unité de gestion par objectifs pour l’exécution du projet de la réforme de l’enseignement supérieur.
Pour tout dire, il s’agit d’une femme qui ne figurait pas dans le viseur de la classe politique, ni des médias. Son accession à ce poste vient fausser tous les pronostics, marquant de la sorte une rupture avec le système qui a jusqu’ici prévalu en matière de nomination de candidats à la primature.
Najla Bouden est, en fait, un outsider, une femme qui n’appartient à l’establishment et qui n’est pas connue pour son engagement politique.
Une femme que personne ou plutôt très peu connaissent et qui ne fait partie de l’élite économique qu’on a cherché à tue-tête à convaincre le président Saïed à lui confier cette charge.
Le message recherché par le chef de l’Etat a été vite bien reçu, nonobstant les réserves des élus d’Ennahdha (parti islamiste) en décomposition et de certaines figures politiques de la gauche et des courants qui se proclament socio-démocrates.
En rendant hommage au rôle de la femme dans le pays et à son statut dans la société, le président tunisien a voulu réaffirmer l’aptitude de la junte féminine à assumer de hautes responsabilités au sein de l’Etat et à conduire le changement dans le pays.
Certes, Najla Bouden ne connaît pas les arcanes de l’administration, possède une connaissance approximative des dossiers brûlants qui l’attendent, notamment les questions économiques et monétaires, mais elle s’appuiera sur la dynamique et la solidarité de l’équipe gouvernementale pour réussir dans cette mission difficile mais pas impossible.
Manifestement, la nouvelle cheffe de gouvernement aura la lourde charge de remettre à flot un pays au bord du gouffre, de restaurer la confiance perdue, de redonner espoir aux jeunes, de présenter une perspective d’avenir. Y parviendra-t-elle ? Réussira-t-elle à gagner la confiance des institutions internationales ? Parviendra-t-elle à piloter une équipe dans le contexte difficile actuel qui aura pour principale mission le sauvetage du pays, la conduite des réformes, la remise des services publics en état de marche, l’identification de solutions urgentes pour que le pays ne tombe dans l’inconnu ? Pourra-t-elle la confiance des syndicats qui l’attendent depuis un certain temps d’un pied ferme pour imposer de nouvelles augmentations salariales ?
Najla Bouden, qui devrait poursuivre prioritairement une lutte implacable contre la corruption; aura certes une marge de manœuvre réduite et sera contrainte à marcher sur une corde raide, mais elle n’aura pas droit à l’échec. Elle doit prouver, enfin, la capacité de la femme à assumer, au même titre que l’homme, les lourdes charges qu’exigent le sauvetage du pays, de sa démocratie, de ses institutions et la réalisation des ambitions des Tunisiens